Le secteur de l’assurance vie représente un pilier fondamental du patrimoine des Français, avec plus de 1 800 milliards d’euros d’encours. Face à l’importance systémique de ce marché, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) exerce un rôle déterminant pour garantir la protection des épargnants et la stabilité financière. Son action s’inscrit dans un cadre réglementaire en constante mutation, notamment depuis l’avènement de Solvabilité II. La surveillance exercée par l’ACPR sur les contrats d’assurance vie s’étend de la conception des produits à la distribution, en passant par la gestion des actifs. Cette vigilance permanente répond aux défis posés par les taux bas, la digitalisation et les nouvelles attentes des consommateurs, tout en s’adaptant aux enjeux émergents comme la finance durable et la cybersécurité.
Fondements juridiques et missions de l’ACPR dans le contrôle de l’assurance vie
L’ACPR, autorité administrative indépendante adossée à la Banque de France, tire ses prérogatives du Code monétaire et financier, particulièrement des articles L.612-1 et suivants. Créée par l’ordonnance du 21 janvier 2010, puis renforcée par la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, elle a hérité des missions de l’ancienne Autorité de Contrôle des Assurances et des Mutuelles (ACAM).
Sa mission première consiste à veiller à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle. Dans le domaine spécifique de l’assurance vie, l’ACPR contrôle le respect des dispositions du Code des assurances, notamment les articles L.132-1 et suivants qui régissent les contrats d’assurance vie.
Périmètre d’intervention de l’ACPR
Le champ d’action de l’ACPR couvre l’ensemble des acteurs du marché de l’assurance vie :
- Les compagnies d’assurance traditionnelles
- Les mutuelles régies par le Code de la mutualité
- Les institutions de prévoyance
- Les intermédiaires d’assurance (courtiers, agents généraux)
Cette supervision s’exerce à plusieurs niveaux. Sur le plan prudentiel, l’ACPR vérifie la solidité financière des organismes et leur capacité à honorer leurs engagements envers les assurés. Elle s’assure que les provisions techniques constituées pour faire face aux futures prestations sont suffisantes et que les actifs en représentation de ces provisions sont de qualité adéquate.
Sur le plan des pratiques commerciales, l’Autorité contrôle la conformité des contrats, la qualité de l’information fournie aux souscripteurs et le respect du devoir de conseil. Elle surveille particulièrement les phases de commercialisation et d’exécution des contrats d’assurance vie, moments critiques où la protection du consommateur peut être mise à mal.
Pouvoirs et sanctions à disposition
Pour mener à bien ses missions, l’ACPR dispose d’un arsenal juridique conséquent. Elle peut :
Procéder à des contrôles sur pièces, en analysant les documents et informations que les organismes sont tenus de lui communiquer périodiquement, comme les états réglementaires ou les rapports actuariels. Effectuer des contrôles sur place, par l’intermédiaire de ses corps d’inspection qui se rendent dans les locaux des entités surveillées pour examiner la réalité des pratiques.
En cas de manquement, la Commission des sanctions de l’ACPR peut prononcer diverses mesures disciplinaires allant du simple avertissement jusqu’à des sanctions pécuniaires pouvant atteindre 100 millions d’euros ou 10% du chiffre d’affaires annuel. Dans les cas les plus graves, elle peut même retirer l’agrément, condamnant de facto l’organisme à cesser son activité.
La jurisprudence de la Commission des sanctions témoigne d’une sévérité particulière concernant les manquements relatifs à l’assurance vie. À titre d’exemple, en 2019, une compagnie d’assurance a été sanctionnée à hauteur de 8 millions d’euros pour des défaillances dans son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) appliqué aux contrats d’assurance vie.
L’articulation entre l’ACPR et les autres autorités de régulation, notamment l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) pour les unités de compte, fait l’objet d’une coordination institutionnalisée par le Pôle commun ACPR-AMF. Cette collaboration s’avère indispensable pour appréhender la complexité croissante des produits d’assurance vie qui combinent souvent des aspects assurantiels et financiers.
Modalités de contrôle prudentiel des assureurs vie par l’ACPR
Le contrôle prudentiel exercé par l’ACPR sur les assureurs vie s’inscrit désormais dans le cadre de la directive Solvabilité II, transposée en droit français depuis 2016. Ce régime repose sur trois piliers complémentaires qui structurent l’approche du régulateur.
Le contrôle quantitatif des exigences en capital
Le premier pilier de Solvabilité II définit les exigences quantitatives auxquelles sont soumis les assureurs vie. L’ACPR vérifie notamment que les organismes respectent deux seuils de capital réglementaire :
Le Minimum Capital Requirement (MCR) constitue le niveau de fonds propres en deçà duquel l’intervention du superviseur devient automatique et peut conduire au retrait d’agrément. Le Solvency Capital Requirement (SCR) représente le capital économique dont un assureur doit disposer pour limiter la probabilité de ruine à 0,5% à horizon un an.
Pour l’assurance vie, le calcul du SCR intègre spécifiquement les risques liés à la longévité, à la mortalité, mais surtout le risque de rachat massif par les assurés en période de crise. L’ACPR analyse minutieusement les modalités de calcul employées par les assureurs, particulièrement lorsqu’ils recourent à des modèles internes au lieu de la formule standard.
La couverture des engagements constitue un autre volet fondamental du contrôle prudentiel. Les provisions techniques, qui représentent la valeur actuelle des engagements envers les assurés, font l’objet d’une attention particulière. Pour l’assurance vie, ces provisions incluent la Provision Mathématique (PM) et la Provision pour Participation aux Bénéfices (PPB), cette dernière jouant un rôle crucial d’amortisseur en période de stress financier.
L’évaluation qualitative de la gouvernance et de la gestion des risques
Le deuxième pilier de Solvabilité II concerne la gouvernance et la gestion des risques. L’ACPR s’assure que les assureurs vie ont mis en place un système de gouvernance efficace comprenant :
- Des fonctions clés identifiées (gestion des risques, conformité, audit interne, fonction actuarielle)
- Un dispositif d’évaluation interne des risques et de la solvabilité (ORSA – Own Risk and Solvency Assessment)
- Une politique d’investissement cohérente avec le principe de la « personne prudente »
L’ORSA représente un élément central du dispositif de supervision. Ce processus oblige les assureurs à réaliser une évaluation prospective de leurs risques et de leur solvabilité sur leur horizon stratégique, généralement 3 à 5 ans. L’ACPR examine attentivement ces rapports qui doivent inclure des scénarios de stress spécifiques à l’assurance vie, comme une hausse brutale des taux entraînant une vague de rachats.
Face aux défis posés par l’environnement de taux bas prolongé, l’ACPR a renforcé son contrôle sur la gestion actif-passif des assureurs vie. Elle surveille notamment la capacité des organismes à tenir leurs engagements de taux garantis dans un contexte où les rendements obligataires sont inférieurs à ces garanties historiques.
Les exigences de reporting et de transparence
Le troisième pilier de Solvabilité II concerne la discipline de marché et les exigences de transparence. Les assureurs vie doivent produire :
Des reportings réglementaires trimestriels et annuels (QRT – Quantitative Reporting Templates) qui fournissent des informations détaillées sur leur situation financière. Un rapport sur la solvabilité et la situation financière (SFCR – Solvency and Financial Condition Report) destiné au public. Un rapport régulier au contrôleur (RSR – Regular Supervisory Report) plus détaillé, à destination de l’ACPR.
L’Autorité analyse ces documents pour détecter les signaux faibles et anticiper d’éventuelles difficultés. Elle peut demander des informations complémentaires ou déclencher un contrôle sur place si elle identifie des zones de risque.
La particularité de l’assurance vie, avec ses engagements de long terme et ses mécanismes de participation aux bénéfices, nécessite une approche spécifique. L’ACPR a ainsi développé des outils de supervision dédiés, comme les stress tests climatiques ou les exercices de résistance aux chocs de taux, particulièrement pertinents pour les contrats en euros.
En 2020, l’ACPR a par exemple mené un exercice de stress test spécifique aux assureurs vie français pour évaluer leur résilience face à un scénario de taux bas prolongé couplé à une hausse des rachats. Les conclusions de cet exercice ont conduit à des recommandations individuelles et collectives pour renforcer la robustesse du secteur.
La protection du consommateur au cœur des prérogatives de l’ACPR
Au-delà du contrôle prudentiel, l’ACPR exerce une mission fondamentale de protection des consommateurs dans le domaine de l’assurance vie. Cette dimension de son action s’est considérablement renforcée ces dernières années, en réponse aux exigences accrues de transparence et de loyauté dans la relation client.
Le contrôle des pratiques commerciales
L’ACPR surveille attentivement les pratiques commerciales des assureurs vie et de leurs intermédiaires à toutes les étapes de la relation avec l’assuré :
En amont de la souscription, elle vérifie la qualité de l’information précontractuelle et la pertinence du conseil délivré. La directive sur la distribution d’assurance (DDA), entrée en vigueur en 2018, a renforcé ces exigences en imposant un document d’information normalisé (IPID) et un processus formalisé de recueil des besoins et exigences du client.
Lors de l’exécution du contrat, l’Autorité s’assure que les assureurs respectent leurs obligations d’information annuelle, notamment sur les frais prélevés et les rendements servis. Elle vérifie également que les clauses bénéficiaires sont correctement exécutées et que les délais de règlement des capitaux décès sont respectés.
La Direction du contrôle des pratiques commerciales de l’ACPR réalise des contrôles thématiques réguliers. En 2021, une attention particulière a été portée aux frais des contrats en unités de compte, après que des études ont révélé leur impact significatif sur la performance à long terme des investissements.
La lutte contre les contrats en déshérence
La problématique des contrats d’assurance vie non réclamés a constitué un axe majeur d’intervention de l’ACPR. Suite à la loi Eckert du 13 juin 2014, l’Autorité a mis en place un suivi rigoureux des obligations des assureurs en matière de recherche des bénéficiaires.
Les contrôles menés ont révélé des manquements significatifs, conduisant à plusieurs sanctions retentissantes. En 2016, l’ACPR a ainsi prononcé une amende record de 50 millions d’euros à l’encontre d’un grand groupe d’assurance pour ses carences dans la gestion des contrats en déshérence.
L’Autorité publie un rapport annuel sur le sujet, permettant de mesurer les progrès accomplis. Entre 2016 et 2021, plus de 5,8 milliards d’euros ont ainsi été restitués aux bénéficiaires grâce au renforcement du cadre légal et à la vigilance du superviseur.
Le traitement des réclamations et la médiation
L’ACPR veille à ce que les assureurs vie mettent en place des procédures efficaces de traitement des réclamations, conformément à la recommandation 2016-R-02 du 14 novembre 2016. Elle contrôle notamment :
- L’accessibilité du dispositif de réclamation pour les assurés
- Les délais de traitement des demandes
- L’information sur les voies de recours, notamment la médiation
Bien que l’ACPR ne puisse pas intervenir directement dans les litiges individuels, elle analyse les réclamations qu’elle reçoit pour identifier des dysfonctionnements systémiques. En 2020, l’assurance vie représentait près de 40% des réclamations reçues dans le domaine de l’assurance, avec des problématiques récurrentes concernant les frais, le rendement des contrats et les difficultés de rachat.
L’Autorité travaille en étroite collaboration avec la Médiation de l’Assurance, organisme indépendant qui peut être saisi par les assurés pour résoudre amiablement leurs différends avec les compagnies. Cette complémentarité entre régulation et médiation contribue à l’efficacité globale du dispositif de protection des consommateurs.
Par ailleurs, l’ACPR a intensifié sa vigilance concernant la commercialisation des contrats d’assurance vie à destination des personnes vulnérables, notamment les seniors. Elle a publié en 2018 une recommandation spécifique sur ce sujet, préconisant des mesures adaptées pour s’assurer du consentement éclairé de ces populations et prévenir les abus.
Face à la digitalisation croissante de la distribution d’assurance vie, l’Autorité a développé des outils de supervision innovants, comme les « visites mystères » en ligne, permettant d’évaluer la qualité des parcours de souscription digitaux et la conformité des informations délivrées sur les interfaces numériques.
Les enjeux actuels de la supervision de l’assurance vie
Le contrôle de l’assurance vie par l’ACPR fait face à des défis majeurs qui transforment profondément le secteur et nécessitent une adaptation constante des méthodes de supervision.
L’impact persistant des taux bas sur le modèle économique
Malgré la remontée récente des taux d’intérêt, les effets de la période prolongée de taux bas continuent d’affecter le secteur de l’assurance vie. L’ACPR maintient une vigilance particulière sur :
La soutenabilité des taux servis sur les contrats en euros, qui doivent désormais s’adapter à un environnement de taux plus volatil. Selon les données de l’ACPR, le taux moyen servi sur les fonds en euros est passé de 4,1% en 2000 à 1,3% en 2020, avant de remonter légèrement en 2022.
La gestion des Provisions pour Participation aux Bénéfices (PPB) constituées pendant la période de taux bas, qui représentent en moyenne 4,5% des encours en 2022. L’Autorité surveille leur utilisation dans ce nouveau contexte de taux.
Le risque de réallocation brutale des portefeuilles obligataires, alors que les assureurs vie français détiennent environ 1 200 milliards d’euros d’obligations, majoritairement acquises dans un contexte de rendements faibles.
Face à ces enjeux, l’ACPR a développé des outils de supervision prospectifs, comme les projections à long terme des bilans des assureurs, pour anticiper les effets des différents scénarios de taux sur leur solvabilité et leur rentabilité.
La transformation digitale et l’émergence des InsurTech
La digitalisation croissante du secteur de l’assurance vie constitue à la fois une opportunité et un défi pour le superviseur. L’ACPR doit adapter son approche face à :
L’émergence des InsurTech, ces start-ups qui bousculent les modèles traditionnels avec des propositions innovantes en matière d’assurance vie. L’Autorité a créé en 2016 un Pôle FinTech-Innovation pour accompagner ces nouveaux acteurs et comprendre leurs modèles.
L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle dans la tarification, la sélection des risques et la gestion des contrats d’assurance vie. L’ACPR a lancé plusieurs travaux exploratoires sur l’explicabilité des algorithmes et les biais potentiels qu’ils peuvent générer.
Les nouveaux risques cyber liés à la digitalisation des processus. Le superviseur a renforcé ses exigences en matière de résilience opérationnelle des systèmes d’information des assureurs vie, particulièrement sensibles compte tenu des données personnelles et financières qu’ils traitent.
Pour répondre à ces défis, l’ACPR a développé des approches innovantes, comme l’utilisation de technologies de supervision (SupTech) pour analyser plus efficacement les données massives issues des reportings réglementaires.
L’intégration des enjeux climatiques et de durabilité
La finance durable représente un axe stratégique pour l’ACPR, particulièrement pertinent pour l’assurance vie qui constitue le premier vecteur d’épargne longue des Français. Le superviseur s’attache à :
- Évaluer l’exposition des assureurs vie aux risques climatiques, tant physiques que de transition
- Vérifier la qualité et la sincérité de l’information fournie aux épargnants sur les caractéristiques ESG des supports d’investissement
- Prévenir les risques de « greenwashing » dans la commercialisation des unités de compte labellisées ISR, Greenfin ou Finansol
En 2020, l’ACPR a conduit un exercice pilote climatique, premier du genre au niveau mondial, impliquant les principaux groupes d’assurance vie français. Cet exercice visait à mesurer leur vulnérabilité à différents scénarios de transition énergétique à horizon 2050.
Le règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR), entré en application en mars 2021, a renforcé les exigences de transparence. L’ACPR veille désormais à la conformité des classifications des produits d’assurance vie selon les articles 8 et 9 de ce règlement.
Par ailleurs, l’Autorité travaille en coordination avec l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) sur l’intégration des facteurs de durabilité dans le cadre prudentiel Solvabilité II, ce qui pourrait à terme impacter le calcul des exigences en capital pour les investissements verts des assureurs vie.
Ces enjeux contemporains illustrent l’évolution du rôle de l’ACPR, qui dépasse aujourd’hui la simple vérification de conformité pour adopter une approche plus prospective et systémique de la supervision de l’assurance vie.
Perspectives d’évolution du contrôle de l’assurance vie
Le cadre de supervision de l’assurance vie connaît des transformations significatives, sous l’influence conjuguée des évolutions réglementaires, des attentes sociétales et des innovations technologiques. Ces mutations dessinent les contours du contrôle de demain.
La révision de Solvabilité II et ses implications
La directive Solvabilité II fait actuellement l’objet d’une révision majeure au niveau européen. Plusieurs modifications envisagées auront un impact direct sur la supervision de l’assurance vie par l’ACPR :
L’ajustement de la courbe des taux sans risque utilisée pour l’actualisation des provisions techniques, avec l’introduction d’une nouvelle méthodologie pour l’extrapolation des taux longs. Ce changement technique aura des conséquences significatives pour les contrats d’assurance vie de longue durée.
La révision du traitement prudentiel des investissements de long terme, notamment via l’extension du mécanisme d’ajustement pour volatilité (Volatility Adjustment). Cette évolution vise à favoriser le rôle des assureurs vie comme investisseurs de long terme dans l’économie.
L’introduction d’un cadre harmonisé pour les outils macroprudentiels, permettant aux autorités nationales comme l’ACPR de disposer de leviers d’intervention supplémentaires en cas de risque systémique sur le marché de l’assurance vie.
L’ACPR participe activement aux travaux préparatoires de cette révision au sein de l’EIOPA. Elle a notamment conduit des études d’impact pour évaluer les conséquences de ces modifications sur les assureurs vie français, caractérisés par l’importance de leurs engagements de long terme.
Vers une supervision européenne renforcée
La tendance à l’européanisation de la supervision financière se confirme et affecte le contrôle de l’assurance vie :
Le rôle de l’EIOPA se renforce progressivement, avec l’élaboration de normes techniques contraignantes et la conduite d’examens par les pairs (peer reviews) qui évaluent les pratiques de supervision des autorités nationales comme l’ACPR.
L’harmonisation des pratiques de supervision s’accentue à travers le Supervisory Handbook développé par l’EIOPA, qui définit des méthodologies communes pour le contrôle des assureurs vie.
La création de collèges de superviseurs pour les groupes transfrontaliers d’assurance vie favorise une approche coordonnée de la supervision. L’ACPR participe activement à ces instances, soit comme superviseur de groupe pour les entités françaises, soit comme superviseur local pour les filiales établies en France.
Cette dimension européenne modifie progressivement les méthodes de travail de l’ACPR, qui doit concilier les spécificités du marché français de l’assurance vie – caractérisé par la prédominance des contrats en euros avec garantie en capital – et les approches standardisées promues au niveau européen.
L’adaptation aux nouveaux produits et à l’évolution des attentes
Le marché de l’assurance vie connaît des mutations profondes qui appellent une adaptation du cadre de supervision :
L’essor des contrats eurocroissance, qui combinent une garantie partielle du capital à l’échéance et une exposition aux marchés financiers, crée de nouveaux enjeux de supervision pour l’ACPR. La provision de diversification caractéristique de ces contrats nécessite un suivi spécifique.
Le développement des Plans d’Épargne Retraite (PER) introduits par la loi PACTE de 2019 élargit le champ de supervision de l’ACPR à ces nouveaux dispositifs qui partagent certaines caractéristiques avec l’assurance vie traditionnelle.
L’émergence de produits hybrides, combinant assurance vie et services financiers ou extra-financiers, brouille les frontières traditionnelles de la supervision. L’ACPR renforce sa coordination avec l’AMF pour appréhender ces innovations.
Pour répondre à ces défis, l’ACPR développe une approche plus transversale et agile. Elle a notamment mis en place des équipes pluridisciplinaires associant experts juridiques, actuaires et spécialistes des données pour appréhender la complexité croissante des produits d’assurance vie.
Les attentes des consommateurs évoluent également, avec une demande accrue de transparence et d’éthique. L’ACPR intègre ces dimensions dans son contrôle, en vérifiant par exemple que les engagements pris en matière d’investissement socialement responsable sont effectivement respectés dans la gestion des contrats d’assurance vie.
Enfin, la supervision doit s’adapter à un environnement marqué par des risques émergents comme les pandémies ou les cyberattaques. L’ACPR développe des scénarios de stress spécifiques pour évaluer la résilience du secteur de l’assurance vie face à ces menaces nouvelles.
Cette vision prospective de la supervision illustre l’évolution du rôle de l’ACPR, qui dépasse aujourd’hui la simple vérification de conformité pour adopter une approche plus anticipative des risques, au service de la stabilité financière et de la protection des assurés.
Les défis futurs de la régulation et du contrôle de l’assurance vie
L’avenir du contrôle de l’assurance vie par l’ACPR sera façonné par des transformations profondes qui redéfinissent les frontières traditionnelles du secteur et les modalités de supervision.
L’intelligence artificielle et l’exploitation des données massives
L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA) dans l’assurance vie soulève des questions inédites pour le superviseur :
L’ACPR devra développer des compétences techniques avancées pour évaluer les modèles d’IA utilisés dans la tarification, la sélection des risques ou la détection des fraudes en assurance vie. Un groupe de travail dédié a été constitué au sein de l’Autorité pour élaborer une doctrine de supervision des algorithmes.
La question de l’explicabilité des décisions automatisées devient centrale, notamment lorsqu’elles concernent le refus de souscription ou la résiliation de contrats d’assurance vie. Le règlement européen sur l’IA, en cours d’élaboration, classera certaines applications assurantielles comme « à haut risque », imposant des exigences renforcées que l’ACPR devra contrôler.
L’exploitation des données massives (big data) pour la personnalisation des offres d’assurance vie soulève des enjeux d’équité et d’accessibilité. L’ACPR devra veiller à ce que la segmentation croissante ne conduise pas à l’exclusion de certaines populations.
Pour relever ces défis, l’ACPR investit dans ses propres capacités technologiques. Elle développe des outils d’analyse automatisée des reportings réglementaires et expérimente l’utilisation de l’IA pour détecter les anomalies dans les données transmises par les assureurs vie.
La fragmentation des chaînes de valeur et l’émergence de nouveaux acteurs
Le modèle traditionnel de l’assurance vie, intégrant conception, gestion et distribution, se transforme sous l’effet de nouveaux entrants et de partenariats innovants :
L’émergence de plateformes digitales d’intermédiation en assurance vie, qui agrègent les offres de différents assureurs, modifie la relation client et dilue les responsabilités. L’ACPR doit adapter son approche pour superviser ces écosystèmes complexes.
L’entrée potentielle des BigTech (géants technologiques) sur le marché de l’assurance vie constitue un enjeu majeur. Ces acteurs disposent d’avantages concurrentiels considérables en termes de données clients et de capacités technologiques, mais échappent partiellement au périmètre traditionnel de la supervision financière.
La tendance à l’externalisation de fonctions critiques, comme la gestion d’actifs ou les systèmes d’information, crée des interdépendances qui compliquent la supervision. L’ACPR renforce son contrôle des dispositifs d’externalisation et développe une approche plus transversale des risques.
Face à cette fragmentation, l’Autorité adopte une supervision basée sur les activités plutôt que sur les statuts juridiques. Cette approche, dite « activity-based regulation », vise à garantir que des activités similaires soient soumises aux mêmes exigences, quel que soit le type d’entité qui les exerce.
L’internationalisation des standards et la convergence réglementaire
La dimension internationale de la régulation de l’assurance vie s’affirme, avec des conséquences pour l’action de l’ACPR :
Les travaux de l’Association Internationale des Contrôleurs d’Assurance (IAIS) sur le capital de solvabilité mondial (Insurance Capital Standard – ICS) et l’identification des assureurs d’importance systémique mondiale influencent progressivement le cadre prudentiel applicable aux grands groupes d’assurance vie français.
La comparabilité internationale des normes comptables, avec l’entrée en vigueur de la norme IFRS 17 sur les contrats d’assurance depuis janvier 2023, modifie profondément la représentation financière des engagements d’assurance vie. L’ACPR doit intégrer cette nouvelle lecture des bilans dans son analyse prudentielle.
L’harmonisation des exigences en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) renforce la dimension internationale du contrôle. L’assurance vie, particulièrement exposée à ces risques en raison de sa composante d’épargne, fait l’objet d’une vigilance accrue lors des évaluations du Groupe d’Action Financière (GAFI).
Pour répondre à cette internationalisation, l’ACPR renforce sa participation aux instances internationales de régulation et développe des coopérations bilatérales avec ses homologues étrangers. Ces échanges permettent de partager les bonnes pratiques et d’anticiper les évolutions réglementaires.
L’avenir du contrôle de l’assurance vie se dessine ainsi à l’intersection de multiples transformations – technologiques, économiques, sociétales et réglementaires. L’ACPR devra continuer à faire évoluer ses méthodes et ses compétences pour maintenir l’efficacité de sa supervision dans cet environnement complexe et mouvant.
Sa capacité à concilier protection des assurés, stabilité financière et soutien à l’innovation responsable constituera la clé de sa légitimité future. Cette évolution s’inscrit dans une tendance plus large de transformation de la régulation financière, qui devient plus préventive, plus technologique et plus collaborative.
