La nullité partielle face au non-renvoi devant le tribunal correctionnel : enjeux et perspectives

La procédure pénale française repose sur un équilibre délicat entre efficacité judiciaire et protection des droits fondamentaux des justiciables. Parmi les mécanismes procéduraux qui suscitent de nombreuses interrogations juridiques figure la question du non-renvoi devant le tribunal correctionnel et ses conséquences en matière de nullité partielle. Cette problématique, à la croisée du droit processuel et des garanties fondamentales, mérite une analyse approfondie tant elle révèle les tensions inhérentes à notre système judiciaire pénal. Les juridictions d’instruction, en décidant de ne pas renvoyer certains faits ou certaines personnes devant le tribunal correctionnel, peuvent générer des situations complexes où la nullité partielle intervient comme instrument d’équilibre procédural, soulevant des questions fondamentales sur la cohérence des poursuites et la préservation des droits de la défense.

Fondements juridiques du non-renvoi et cadre normatif de la nullité partielle

Le non-renvoi devant le tribunal correctionnel constitue une décision juridictionnelle par laquelle le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction refuse de renvoyer tout ou partie des faits ou des personnes mises en examen devant la juridiction de jugement. Cette décision s’inscrit dans un cadre normatif précis, défini principalement par les articles 176 à 184 du Code de procédure pénale.

Le juge d’instruction, à l’issue de l’information judiciaire, peut prendre plusieurs types d’ordonnances, notamment une ordonnance de non-lieu (total ou partiel), une ordonnance d’incompétence, ou une ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement. Le non-renvoi constitue ainsi une manifestation du pouvoir d’appréciation du magistrat instructeur quant à la suffisance des charges réunies.

Parallèlement, la nullité partielle trouve son fondement dans les articles 170 à 174-1 du Code de procédure pénale. Elle permet d’annuler certains actes de la procédure sans remettre en cause l’ensemble de celle-ci. La Cour de cassation a progressivement élaboré une jurisprudence sophistiquée pour déterminer quand la nullité peut être circonscrite à certains actes ou doit s’étendre à l’ensemble de la procédure.

L’articulation de ces deux mécanismes – non-renvoi et nullité partielle – s’avère complexe. Dans l’arrêt du 7 octobre 2020 (n°19-85.804), la chambre criminelle a précisé que « l’annulation partielle d’une ordonnance de renvoi n’entraîne pas nécessairement l’annulation de l’ensemble des poursuites dès lors que les faits subsistants conservent leur autonomie et peuvent être jugés séparément ».

Cette position s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle constante visant à préserver l’efficacité de la justice tout en garantissant les droits de la défense. La décision du Conseil constitutionnel du 4 avril 2019 (n°2019-778 QPC) a d’ailleurs validé le principe de nullité partielle sous réserve qu’elle ne porte pas atteinte aux droits de la défense.

Typologie des cas de non-renvoi

  • Non-renvoi pour insuffisance de charges
  • Non-renvoi pour prescription de l’action publique
  • Non-renvoi pour immunité pénale
  • Non-renvoi pour cause d’irresponsabilité pénale
  • Non-renvoi partiel concernant certains faits ou certaines personnes

La question de la nullité partielle se pose avec une acuité particulière dans ce dernier cas, lorsque le juge d’instruction décide de renvoyer certains faits ou certaines personnes devant le tribunal correctionnel tout en prononçant un non-lieu pour d’autres. Cette situation génère des interrogations sur la cohérence de la procédure et la préservation de l’équité du procès.

Mécanismes procéduraux et effets juridiques du non-renvoi associé à la nullité partielle

Les mécanismes procéduraux relatifs au non-renvoi et à la nullité partielle s’articulent autour de plusieurs phases distinctes, chacune soulevant des problématiques spécifiques. Lorsqu’une nullité partielle est prononcée dans le cadre d’une procédure aboutissant à un non-renvoi pour certains faits ou certaines personnes, plusieurs conséquences juridiques en découlent.

Tout d’abord, la chambre de l’instruction, saisie d’une requête en nullité, peut prononcer l’annulation de certains actes tout en maintenant la validité d’autres. Cette faculté, consacrée par l’article 174 du Code de procédure pénale, permet de préserver l’économie générale de la procédure. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Crim., 14 février 2012, n°11-84.694), la chambre de l’instruction doit examiner, après avoir prononcé une nullité, si celle-ci affecte la régularité de l’ensemble de la procédure ou seulement certains actes.

Le principe de compartimentage des nullités constitue l’un des aspects fondamentaux du régime procédural applicable. Ce principe, dégagé notamment dans l’arrêt du 16 janvier 2018 (Crim., n°17-81.380), permet d’isoler les actes viciés sans compromettre l’ensemble de la procédure. La Cour de cassation a ainsi jugé que « l’annulation d’actes de la procédure ne peut s’étendre aux actes dont ils ne constituent pas le support nécessaire ».

Les effets du non-renvoi associé à la nullité partielle varient selon plusieurs facteurs :

Effets sur les poursuites ultérieures

Le non-renvoi partiel, combiné à une nullité partielle, peut influencer la suite des poursuites de manière significative. Si le juge d’instruction décide de ne pas renvoyer certains faits devant le tribunal correctionnel en raison d’une nullité affectant spécifiquement ces faits, l’autorité de chose jugée attachée à cette décision empêche toute nouvelle poursuite pour ces mêmes faits, conformément à l’article 6 du Code de procédure pénale.

Toutefois, la jurisprudence a apporté des nuances importantes. Dans un arrêt du 9 mai 2019 (Crim., n°18-82.800), la Cour de cassation a précisé que « l’annulation d’actes pour violation des droits de la défense n’interdit pas au ministère public d’exercer à nouveau l’action publique selon d’autres modalités procédurales, dès lors que les faits n’ont pas été définitivement jugés ».

Impact sur les droits des parties

La combinaison du non-renvoi et de la nullité partielle peut créer des situations complexes pour les parties au procès. Pour la personne mise en examen, le non-renvoi partiel peut signifier une victoire partielle, mais aussi générer une fragmentation préjudiciable de sa défense. Pour la partie civile, cette situation peut compromettre l’effectivité de son action civile.

La Cour européenne des droits de l’homme s’est montrée attentive à ces questions, rappelant dans l’affaire Clinique des Acacias c. France (15 novembre 2005) que la fragmentation excessive des procédures peut constituer une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Jurisprudence évolutive : analyse des décisions majeures sur le non-renvoi et la nullité partielle

L’évolution jurisprudentielle concernant le non-renvoi associé à la nullité partielle témoigne d’une recherche constante d’équilibre entre efficacité procédurale et garantie des droits fondamentaux. Plusieurs décisions majeures ont jalonné cette évolution, contribuant à façonner un corpus jurisprudentiel complexe mais cohérent.

L’arrêt fondateur en la matière remonte au 24 juin 1997 (Crim., n°96-86.085), dans lequel la Chambre criminelle a posé le principe selon lequel « l’annulation partielle d’une ordonnance de renvoi n’entraîne pas nécessairement l’annulation de l’ensemble des poursuites lorsque les faits subsistants conservent leur autonomie et peuvent être jugés séparément ». Cette décision a instauré le critère d’autonomie des faits comme élément déterminant pour apprécier la portée d’une nullité partielle.

Cette approche a été confirmée et affinée dans l’arrêt du 19 septembre 2006 (Crim., n°05-85.967), où la Cour a précisé que « l’annulation d’actes de l’information ne saurait, par elle-même, entraîner l’invalidité de la procédure ultérieure lorsque la juridiction de jugement a été régulièrement saisie ». Cette décision a consolidé la distinction entre la phase d’instruction et la phase de jugement, limitant ainsi la propagation des nullités.

Un tournant significatif est intervenu avec l’arrêt du 13 octobre 2015 (Crim., n°15-81.675), dans lequel la Cour de cassation a introduit la notion de « support nécessaire » pour déterminer l’étendue des nullités. Selon cette décision, « l’annulation d’un acte ne peut s’étendre aux actes ultérieurs que s’ils trouvent leur support nécessaire dans l’acte annulé ou s’ils sont affectés par le même vice ».

Cette jurisprudence a été nuancée par l’arrêt du 7 juin 2017 (Crim., n°16-87.114), où la Cour a considéré que « même en l’absence de lien de dépendance nécessaire entre l’acte annulé et les actes subséquents, la nullité peut s’étendre à ces derniers lorsqu’ils ont été accomplis en violation des droits de la défense résultant de l’irrégularité initiale ». Cette décision a introduit une approche plus protectrice des droits de la défense.

Plus récemment, l’arrêt du 11 décembre 2019 (Crim., n°19-82.507) a apporté une précision majeure concernant le non-renvoi partiel en lien avec une nullité : « La décision de non-renvoi partiel fondée sur une nullité affectant certains faits ou concernant certaines personnes n’empêche pas la poursuite de l’instruction et le renvoi ultérieur devant la juridiction de jugement pour les faits ou concernant les personnes non affectés par cette nullité ».

Évolution des critères d’appréciation

  • Du critère d’autonomie des faits (1997) au critère du support nécessaire (2015)
  • Introduction de la prise en compte spécifique des droits de la défense (2017)
  • Affirmation de la divisibilité des poursuites (2019)

Cette évolution jurisprudentielle témoigne d’une approche de plus en plus nuancée, prenant en compte la complexité croissante des procédures pénales, notamment dans les dossiers économiques et financiers où la question du non-renvoi partiel et de la nullité partielle se pose avec une acuité particulière.

Contentieux spécifiques et applications pratiques : des affaires emblématiques aux situations courantes

La problématique du non-renvoi associée à la nullité partielle trouve des applications concrètes dans plusieurs types de contentieux, révélant des enjeux pratiques considérables. Les affaires économiques et financières constituent un terrain privilégié pour observer ces mécanismes procéduraux en action.

Dans l’affaire Clearstream, le juge d’instruction avait prononcé un non-lieu partiel pour certains faits, tout en renvoyant d’autres aspects de l’affaire devant le tribunal correctionnel. La défense avait alors soulevé une question de nullité partielle, arguant que les faits renvoyés étaient indissociables de ceux ayant fait l’objet d’un non-lieu. La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 28 septembre 2009, a rejeté cet argument, considérant que les faits conservaient une autonomie suffisante.

Les dossiers de criminalité organisée soulèvent fréquemment des questions similaires. Dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 3 avril 2018 (n°17-85.039), concernant un trafic de stupéfiants impliquant plusieurs personnes, la nullité de certaines écoutes téléphoniques avait conduit à un non-renvoi pour certains prévenus, tandis que d’autres étaient renvoyés devant le tribunal. La Cour a validé cette approche, considérant que « la nullité des interceptions téléphoniques concernant certains prévenus n’affecte pas nécessairement les poursuites dirigées contre d’autres prévenus, dès lors que des éléments de preuve autonomes subsistent ».

Dans le domaine des infractions d’atteintes aux biens, la jurisprudence a également fourni des illustrations pertinentes. Un arrêt du 15 novembre 2017 (Crim., n°16-83.041) concernait une affaire d’abus de confiance et d’escroquerie où certains faits avaient été écartés par le juge d’instruction en raison de la nullité des actes les concernant spécifiquement. La Cour a validé cette approche compartimentée, estimant que « la nullité affectant certains actes d’investigation relatifs à des faits précis n’entache pas la validité des poursuites concernant d’autres faits, dès lors que ces derniers peuvent être établis par des éléments de preuve distincts ».

Pratiques des juridictions d’instruction

Les juridictions d’instruction ont développé des pratiques spécifiques pour gérer ces situations complexes. L’une d’elles consiste à rédiger des ordonnances de renvoi particulièrement détaillées, identifiant précisément les faits renvoyés et ceux faisant l’objet d’un non-lieu, avec une motivation renforcée lorsque des questions de nullité sont en jeu.

Une autre pratique consiste à anticiper les risques de nullité en procédant à des « purges préventives » des nullités avant de statuer sur le renvoi. Cette approche, encouragée par la circulaire du 8 avril 2019 relative à la lutte contre les nullités, vise à sécuriser la procédure en amont.

Les chambres de l’instruction jouent un rôle crucial dans ce domaine. Lorsqu’elles sont saisies d’un appel contre une ordonnance de non-renvoi partiel fondée sur une nullité, elles procèdent à une analyse minutieuse de l’impact de cette nullité sur l’ensemble de la procédure. Selon les statistiques du ministère de la Justice pour l’année 2020, près de 40% des appels formés contre des ordonnances de non-renvoi partielles concernaient des questions liées à la nullité.

Stratégies des acteurs du procès pénal

Face à ces enjeux, les acteurs du procès pénal ont développé des stratégies spécifiques. Pour les avocats de la défense, la contestation de l’autonomie des faits constitue souvent un moyen de tenter d’étendre l’effet d’une nullité partielle à l’ensemble de la procédure. À l’inverse, le ministère public s’attache généralement à démontrer la divisibilité des poursuites pour préserver les aspects non viciés de la procédure.

Les parties civiles, quant à elles, se trouvent parfois dans une position délicate lorsqu’un non-renvoi partiel fondé sur une nullité fragmente l’action publique. La jurisprudence leur reconnaît toutefois la possibilité de contester cette fragmentation lorsqu’elle compromet l’effectivité de leur action civile (Crim., 6 mars 2018, n°17-81.984).

Perspectives et défis contemporains : vers une redéfinition des équilibres procéduraux

L’évolution constante du droit pénal et de la procédure pénale soulève de nouveaux défis concernant le non-renvoi et la nullité partielle, appelant à une redéfinition des équilibres procéduraux traditionnels. Plusieurs tendances majeures se dessinent dans ce paysage juridique en mutation.

La complexification croissante des procédures pénales, notamment dans les affaires économiques, financières et de criminalité organisée, accentue la fréquence des situations de non-renvoi partiel liées à des nullités. Cette évolution pousse les juridictions à développer une approche de plus en plus sophistiquée pour déterminer l’étendue des nullités et leur impact sur la décision de renvoi.

Parallèlement, l’influence du droit européen continue de s’affirmer dans ce domaine. La Cour européenne des droits de l’homme, à travers plusieurs arrêts comme Zdravko Stanev c. Bulgarie (6 novembre 2012) ou Ibrahim et autres c. Royaume-Uni (13 septembre 2016), a développé une jurisprudence exigeante concernant l’équité globale de la procédure pénale. Cette influence pousse les juridictions nationales à une prise en compte accrue des droits de la défense dans l’appréciation des nullités et de leurs conséquences sur le renvoi.

Le législateur français n’est pas resté inactif face à ces évolutions. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a modifié certains aspects du régime des nullités, notamment en encadrant davantage les conditions de recevabilité des requêtes en nullité. Ces modifications visent à trouver un nouvel équilibre entre la protection des droits fondamentaux et l’efficacité de la justice pénale.

Défis techniques et pratiques

Sur le plan technique, plusieurs défis se posent aux praticiens du droit. L’un des plus significatifs concerne l’appréciation du lien entre les différents faits ou les différentes personnes concernées par une procédure pénale. La jurisprudence a progressivement affiné les critères permettant de déterminer si des faits peuvent être considérés comme autonomes, mais cette appréciation reste souvent délicate dans les dossiers complexes.

Un autre défi concerne la gestion temporelle des procédures. Le non-renvoi partiel fondé sur une nullité peut conduire à un fractionnement des poursuites, avec des procès se déroulant à des moments différents pour des faits initialement connectés. Cette situation soulève des questions pratiques importantes, notamment en termes de cohérence jurisprudentielle et d’organisation judiciaire.

La digitalisation croissante des procédures pénales introduit également de nouvelles problématiques. Les questions de nullité liées à la collecte ou au traitement de preuves numériques peuvent conduire à des situations de non-renvoi partiel particulièrement complexes, nécessitant une expertise technique approfondie de la part des magistrats.

Propositions de réformes et évolutions souhaitables

  • Renforcement de la motivation des décisions de non-renvoi partiel fondées sur une nullité
  • Clarification législative des critères d’autonomie des faits et de propagation des nullités
  • Développement de mécanismes procéduraux permettant une meilleure coordination entre procédures fractionnées
  • Formation spécifique des magistrats aux problématiques techniques liées aux nullités dans l’environnement numérique

L’avenir de cette matière passera probablement par une approche plus intégrée, prenant en compte l’ensemble des dimensions du procès pénal. La Cour de cassation, dans son rapport annuel 2021, a d’ailleurs souligné la nécessité d’une « approche globale et cohérente des nullités procédurales », suggérant que les questions de non-renvoi et de nullité partielle devraient être appréhendées dans une perspective systémique.

En définitive, l’évolution de la jurisprudence et des pratiques concernant le non-renvoi et la nullité partielle reflète les tensions fondamentales qui traversent notre système judiciaire pénal, entre recherche d’efficacité et protection des garanties fondamentales. L’enjeu des prochaines années sera de parvenir à un équilibre renouvelé, adapté aux défis contemporains de la justice pénale.